Exotisme coloré

1-oeuvre finie copie

Hier, j’ai achevé la commande d’une œuvre qu’on m’avait passée sur le thème de l’exotisme, avec la demande expresse d’y voir des couleurs vives et chatoyantes.
Mon mécène étant originaire de la Guadeloupe, j’avais décidé de rendre hommage à son île, si sublime.
Comme à mon habitude, je me suis enthousiasmée pour une idée jusqu’à me rendre compte de la complexité de sa réalisation. J’ai dû ainsi opérer plusieurs changements en cours de route. Je vais ainsi revenir sur la genèse du projet afin de retracer son cheminement et mieux expliquer le résultat final.

Prémices
Il a été tout-de-suite clair dans mon esprit que l’œuvre serait décorative et linéaire − privée de toute dimension symbolique et doubles interprétations que j’affectionne pourtant d’ordinaire. Néanmoins, pour favoriser une lecture cohérente de l’œuvre s’appuyant sur une idée directrice, je choisissais le thème des quatre éléments (air, eau, terre, feu), symboles d’équilibre figurés par des forces contraires. Plus sensible à la représentation d’animaux et d’êtres humains, je décidais d’en faire mes motifs.

Le support et sujets de représentation
Dans un premier temps, j’ai trouvé un support qui a été le moteur de mon projet :

2-supportcopie2

Ce cadre (35 cm x 18 cm) m’a inspiré, notamment par l’attrait du triptyque. J’avais dans l’idée de peindre sur le cadre également.
Concernant les sujets de représentation :
– la TERRE : un racoon (ou raton-laveur) avec un palmier derrière lui sur la droite et un gecko parmi des fleurs sur la partie basse.
– l’AIR : un colibri avec des bambous et des fougères en fonds sur la gauche et des papillons sur la partie haute.
– l’EAU : la faune et la flore sous-marines − oursin, corail, raie, étoile de mer, poissons et tortue des mers. Cette partie correspond au résultat final.
– le FEU : une légende accordant la place centrale à l’être humain et qui aurait été traitée avec des couleurs ocre.

Les recherches de documentation et le premier changement
Dans un deuxième temps, mes recherches de documentation n’ont pas été sans mal. J’ai toutefois trouvé deux livres très bien faits à la médiathèque de Malakoff [cf. bibliographie] qui m’ont apporté les photos et les informations dont j’avais besoin. J’ai également pioché dans les fiches de «L’Univers fascinant des animaux » des éditions Atlas et Internet.
Le problème majeur qui s’est posé a été l’absence de contes traditionnels. Mes recherches ont été vaines de ce côté-là et la déception grande. C’est ainsi que je me suis résolue à remplacer le conte par trois paysages caractéristiques de la Guadeloupe, en lien avec le feu. Je pensais à la représentation d’un volcan… mais par manque d’idée, j’ai préféré étendre le sujet à la vie quotidienne et festive rendant compte de l’animation : le marché et le carnaval.

La mise en œuvre : les techniques utilisées et des changements supplémentaires
Le contour
J’ai commencé par l’EAU. J’ai tout de suite déterminé l’aquarelle comme technique à adopter – quoi de mieux qu’une technique utilisant l’eau pour représenter cet l’élément. Cette partie étant secondaire – il ne fallait pas qu’elle fasse  trop concurrence à la partie centrale consacrée au FEU en accaparant le regard −, j’optais donc pour une représentation tronquée et disséminée des différents éléments : ceux illustrant la flore, l’oursin et le corail, encerclant l’œuvre de chaque côté, de taille disproportionnée.
Chaque élément n’est présent qu’individuellement – à l’exception des poissons papillons jaunes, plus petits et dont la couleur complémentaire à celle de l’oursin garantie l’équilibre visuel. D’ailleurs, l’ensemble  de cette partie est un balancement entre les couleurs froides sur la moitié gauche (vert, violet) et les couleurs chaudes sur la moitié droite (rouge-orangé et jaune). J’ai ajouté cinq bulles réparties en deux groupes de deux et trois (invisibles sur la photo).
De plus, j’ai appliqué sur les rebords des trois cadres un fin trait de feutre argenté et doré pour favoriser une jonction discrète avec le FEU.

3-EAU

Le cadre
Je me suis ensuite attaquée à l’AIR et à la TERRE sur le cadre. Pour ce faire, j’ai poncé la peinture déjà présente pour obtenir une meilleure adhérence pour celle dont j’allais me servir.
On m’avait offert de la peinture à l’huile qu’on m’avait fortement encouragée à utiliser. Je pensais que ce serait l’occasion, mais n’en n’ayant jamais fait, cette technique s’est avérée complexe − il me manquait en outre l’essence de térébenthine pour fluidifier la texture et le vernis. Je me suis pourtant évertuée à réaliser des papillons sur la partie supérieure. Le résultat était médiocre et laborieux. J’y ai renoncé, surtout que le cadre n’étant pas plat, ce n’était pas évident de peindre dessus. D’ailleurs, ce constat m’a fait réaliser que seul des aplats de couleurs s’imposaient. Ne voulant pas avoir poncé pour rien et avoir un résultat plus original qu’une couleur unie, j’ai eu l’idée de reprendre les couleurs de la Guadeloupe : jaune, orange, vert. Disposées sur différentes facettes du cadre, les couleurs dynamisent l’ensemble, le mettant en valeur sans l’assujettir. J’ai, de plus, ajouté une bande de peinture dorée entre chaque couleur qui crée des reflets magnifiques au soleil. Tout ceci avec de la gouache.

La partie centrale : le triptyque
J’avais gardé la partie centrale pour la fin – justement en présage des différents changements de dernières minutes et ainsi l’adapter au besoin. À ce moment-là, j’ai eu une contrainte de temps. En effet, je n’avais plus que 48h pour finir l’œuvre. Suivant la thématique des quatre éléments, les trois parties centrales ont été redistribuées aux trois éléments restants. Je tenais au motif animalier – notamment au racoon et au colibri. C’est ainsi que j’ai réalisé que l’œuvre pouvait être consacrée entièrement aux animaux caractéristiques de la Guadeloupe – l’AIR figuré par le colibri, la TERRE par le racoon et le FEU par le gecko (dans l’idée que les reptiles peuvent rappeler les dragons et être associés aux flammes, je reconnais que c’est tiré par les cheveux).
J’ai procédé de la gauche vers la droite en appliquant un effet de symétrie par l’inclinaison du colibri et du gecko penchés vers le centre de l’œuvre − positionnés en oblique également pour mieux utiliser l’espace − et aussi avec des accessoires dont le racoon est dépourvu – par nombre de trois, tantôt des fleurs, tantôt des pierres, tronqués car secondaires.
Pour mieux faire ressortir chaque animal, le fond est uni et sans effet. Ces aplats de couleurs vives donnent une impression de distanciation artificielle – surtout que j’ai sciemment soustrait les ombres des sujets. J’ai procédé ainsi pour donner plus d’impact en créant un contraste marqué entre l’animal représenté avec réalisme et une absence de référents anecdotiques autour. J’ai cherché une fois de plus à équilibrer les couleurs chaudes et froides. Cette partie consacrée à l’AIR, la TERRE et le FEU est un mélange d’aquarelle et de gouache.

4-partie centrale

Conclusion
J’en viens au plus important, l’appréciation du commanditaire. Au moment du rendu, j’étais tiraillée par l’appréhension et la fatigue – une nuit blanche avait été nécessaire pour fixer les derniers détails. Au final, l’œuvre a plu, mais une déception a été émise car le résultat n’était pas celui attendu – qui était davantage porté pour un paysage, omis lors de la commande.
Je dois reconnaître que j’ai ressenti un serrement au moment de me séparer de l’œuvre. C’est pourquoi je préfère maintenant me concentrer sur de prochains sujets. Les idées fourmillent ! Et vous, seriez-vous tentés de me passer commande ?

Bibliographie
CHOPIN, Anne (photos) & Hervé (textes), Guadeloupe, l’île aux belles eaux, Éditions Orphie, imprimé en octobre 2003, 95 pages.

Collectif, Les Antilles, Martinique, Guadeloupe, Éditions Gallimard, imprimé en Italie en 1997, 434 pages.