Exotisme coloré

1-oeuvre finie copie

Hier, j’ai achevé la commande d’une œuvre qu’on m’avait passée sur le thème de l’exotisme, avec la demande expresse d’y voir des couleurs vives et chatoyantes.
Mon mécène étant originaire de la Guadeloupe, j’avais décidé de rendre hommage à son île, si sublime.
Comme à mon habitude, je me suis enthousiasmée pour une idée jusqu’à me rendre compte de la complexité de sa réalisation. J’ai dû ainsi opérer plusieurs changements en cours de route. Je vais ainsi revenir sur la genèse du projet afin de retracer son cheminement et mieux expliquer le résultat final.

Prémices
Il a été tout-de-suite clair dans mon esprit que l’œuvre serait décorative et linéaire − privée de toute dimension symbolique et doubles interprétations que j’affectionne pourtant d’ordinaire. Néanmoins, pour favoriser une lecture cohérente de l’œuvre s’appuyant sur une idée directrice, je choisissais le thème des quatre éléments (air, eau, terre, feu), symboles d’équilibre figurés par des forces contraires. Plus sensible à la représentation d’animaux et d’êtres humains, je décidais d’en faire mes motifs.

Le support et sujets de représentation
Dans un premier temps, j’ai trouvé un support qui a été le moteur de mon projet :

2-supportcopie2

Ce cadre (35 cm x 18 cm) m’a inspiré, notamment par l’attrait du triptyque. J’avais dans l’idée de peindre sur le cadre également.
Concernant les sujets de représentation :
– la TERRE : un racoon (ou raton-laveur) avec un palmier derrière lui sur la droite et un gecko parmi des fleurs sur la partie basse.
– l’AIR : un colibri avec des bambous et des fougères en fonds sur la gauche et des papillons sur la partie haute.
– l’EAU : la faune et la flore sous-marines − oursin, corail, raie, étoile de mer, poissons et tortue des mers. Cette partie correspond au résultat final.
– le FEU : une légende accordant la place centrale à l’être humain et qui aurait été traitée avec des couleurs ocre.

Les recherches de documentation et le premier changement
Dans un deuxième temps, mes recherches de documentation n’ont pas été sans mal. J’ai toutefois trouvé deux livres très bien faits à la médiathèque de Malakoff [cf. bibliographie] qui m’ont apporté les photos et les informations dont j’avais besoin. J’ai également pioché dans les fiches de «L’Univers fascinant des animaux » des éditions Atlas et Internet.
Le problème majeur qui s’est posé a été l’absence de contes traditionnels. Mes recherches ont été vaines de ce côté-là et la déception grande. C’est ainsi que je me suis résolue à remplacer le conte par trois paysages caractéristiques de la Guadeloupe, en lien avec le feu. Je pensais à la représentation d’un volcan… mais par manque d’idée, j’ai préféré étendre le sujet à la vie quotidienne et festive rendant compte de l’animation : le marché et le carnaval.

La mise en œuvre : les techniques utilisées et des changements supplémentaires
Le contour
J’ai commencé par l’EAU. J’ai tout de suite déterminé l’aquarelle comme technique à adopter – quoi de mieux qu’une technique utilisant l’eau pour représenter cet l’élément. Cette partie étant secondaire – il ne fallait pas qu’elle fasse  trop concurrence à la partie centrale consacrée au FEU en accaparant le regard −, j’optais donc pour une représentation tronquée et disséminée des différents éléments : ceux illustrant la flore, l’oursin et le corail, encerclant l’œuvre de chaque côté, de taille disproportionnée.
Chaque élément n’est présent qu’individuellement – à l’exception des poissons papillons jaunes, plus petits et dont la couleur complémentaire à celle de l’oursin garantie l’équilibre visuel. D’ailleurs, l’ensemble  de cette partie est un balancement entre les couleurs froides sur la moitié gauche (vert, violet) et les couleurs chaudes sur la moitié droite (rouge-orangé et jaune). J’ai ajouté cinq bulles réparties en deux groupes de deux et trois (invisibles sur la photo).
De plus, j’ai appliqué sur les rebords des trois cadres un fin trait de feutre argenté et doré pour favoriser une jonction discrète avec le FEU.

3-EAU

Le cadre
Je me suis ensuite attaquée à l’AIR et à la TERRE sur le cadre. Pour ce faire, j’ai poncé la peinture déjà présente pour obtenir une meilleure adhérence pour celle dont j’allais me servir.
On m’avait offert de la peinture à l’huile qu’on m’avait fortement encouragée à utiliser. Je pensais que ce serait l’occasion, mais n’en n’ayant jamais fait, cette technique s’est avérée complexe − il me manquait en outre l’essence de térébenthine pour fluidifier la texture et le vernis. Je me suis pourtant évertuée à réaliser des papillons sur la partie supérieure. Le résultat était médiocre et laborieux. J’y ai renoncé, surtout que le cadre n’étant pas plat, ce n’était pas évident de peindre dessus. D’ailleurs, ce constat m’a fait réaliser que seul des aplats de couleurs s’imposaient. Ne voulant pas avoir poncé pour rien et avoir un résultat plus original qu’une couleur unie, j’ai eu l’idée de reprendre les couleurs de la Guadeloupe : jaune, orange, vert. Disposées sur différentes facettes du cadre, les couleurs dynamisent l’ensemble, le mettant en valeur sans l’assujettir. J’ai, de plus, ajouté une bande de peinture dorée entre chaque couleur qui crée des reflets magnifiques au soleil. Tout ceci avec de la gouache.

La partie centrale : le triptyque
J’avais gardé la partie centrale pour la fin – justement en présage des différents changements de dernières minutes et ainsi l’adapter au besoin. À ce moment-là, j’ai eu une contrainte de temps. En effet, je n’avais plus que 48h pour finir l’œuvre. Suivant la thématique des quatre éléments, les trois parties centrales ont été redistribuées aux trois éléments restants. Je tenais au motif animalier – notamment au racoon et au colibri. C’est ainsi que j’ai réalisé que l’œuvre pouvait être consacrée entièrement aux animaux caractéristiques de la Guadeloupe – l’AIR figuré par le colibri, la TERRE par le racoon et le FEU par le gecko (dans l’idée que les reptiles peuvent rappeler les dragons et être associés aux flammes, je reconnais que c’est tiré par les cheveux).
J’ai procédé de la gauche vers la droite en appliquant un effet de symétrie par l’inclinaison du colibri et du gecko penchés vers le centre de l’œuvre − positionnés en oblique également pour mieux utiliser l’espace − et aussi avec des accessoires dont le racoon est dépourvu – par nombre de trois, tantôt des fleurs, tantôt des pierres, tronqués car secondaires.
Pour mieux faire ressortir chaque animal, le fond est uni et sans effet. Ces aplats de couleurs vives donnent une impression de distanciation artificielle – surtout que j’ai sciemment soustrait les ombres des sujets. J’ai procédé ainsi pour donner plus d’impact en créant un contraste marqué entre l’animal représenté avec réalisme et une absence de référents anecdotiques autour. J’ai cherché une fois de plus à équilibrer les couleurs chaudes et froides. Cette partie consacrée à l’AIR, la TERRE et le FEU est un mélange d’aquarelle et de gouache.

4-partie centrale

Conclusion
J’en viens au plus important, l’appréciation du commanditaire. Au moment du rendu, j’étais tiraillée par l’appréhension et la fatigue – une nuit blanche avait été nécessaire pour fixer les derniers détails. Au final, l’œuvre a plu, mais une déception a été émise car le résultat n’était pas celui attendu – qui était davantage porté pour un paysage, omis lors de la commande.
Je dois reconnaître que j’ai ressenti un serrement au moment de me séparer de l’œuvre. C’est pourquoi je préfère maintenant me concentrer sur de prochains sujets. Les idées fourmillent ! Et vous, seriez-vous tentés de me passer commande ?

Bibliographie
CHOPIN, Anne (photos) & Hervé (textes), Guadeloupe, l’île aux belles eaux, Éditions Orphie, imprimé en octobre 2003, 95 pages.

Collectif, Les Antilles, Martinique, Guadeloupe, Éditions Gallimard, imprimé en Italie en 1997, 434 pages.

 

Félix Vallotton. Le feu sous la glace

Du 2 octobre 2013 au 20 janvier 2014 au Grand Palais

La loge de théâtre, le monsieur et la dame, 1909

La loge de théâtre, le monsieur et la dame, 1909

Jusqu’au mois de janvier 2014, s’est tenu au Grand Palais une rétrospective de l’œuvre multiple de l’artiste Félix Vallotton (Lausanne, 1865 – Paris, 1925). Sous l’intitulé « Le feu sous la glace », les commissaires d’exposition* ont pris le parti de montrer « cet art, en apparence assez froid, très corseté, derrière lequel on perçoit une passion extrêmement vive qui était toujours retenue, mais qui n’en bouillait pas moins à l’intérieur de lui. »1 Les œuvres ont ainsi été réparties selon un parcours thématique (ni chronologique, ni générique) afin de rendre compte de la diversité et de la richesse qui marquent l’ensemble du travail de Félix Vallotton.

Près de cinquante années se sont écoulées depuis la dernière exposition consacrée au travail de l’artiste dans un musée parisien. En effet, la dernière d’envergure a eu lieu au musée d’Art moderne en 1966. Entre temps, le Petit Palais en 1979 et le musée Maillol en 1997 présentèrent une rétrospective et une monographie sur les nus. Plus récemment, en 2001, l’exposition Le très singulier Vallotton fut organisée aux musées des Beaux-Arts de Lyon, puis Cantini à Marseille.
Cette nouvelle manifestation parisienne, organisée par le musée d’Orsay et la Réunion des musées nationaux-Grand Palais − en partenariat avec le Van Gogh Museum d’Amsterdam et le musée Mitsubishi Ichigokan de Tokyo et Nikkei In. −, donne l’occasion de découvrir une variété d’œuvres méconnues, car issues de collections privées suisses, lui conférant un caractère exceptionnel.

Objectif général de l’exposition

Cette rétrospective a été un pari audacieux, car Vallotton s’avère être très peu connu en France. Suisse d’origine, il a pourtant fait ses études à l’académie Julian* à Paris dès 1882, y menant sa carrière jusqu’à choisir la double nationalité en 1900. À cette invitation, le public a répondu présent avec plus de trois mille entrées par jour, dépassant les espérances des organisateurs. Les visites ont bénéficié du bouche à oreille stimulé par la scénographie de Sylvain Roca et Nicolas Groult qui a été très appréciée. Les prêts des musées suisses, des nombreux collectionneurs privés, ainsi que ceux des musées américains et européens, ont sans aucun doute participé à ce succès, car ils auront permis de voir des œuvres inédites, aux côtés des chefs-d’œuvre les plus connus.

Un autre objectif de cette exposition a consisté à montrer le travail de Félix Vallotton dans toute sa diversité et sa différence. En effet, l’artiste a laissé une œuvre considérable comptant plus de mille sept cents peintures, quelque deux cents gravures, d’innombrables dessins, croquis, illustrations de presse, des sculptures et des ouvrages d’arts appliqués. Il a également été l’auteur d’une trentaine de critiques et écrits sur l’art, de trois romans et de dix pièces de théâtre.

Par ailleurs, membre des Nabis* de 1893 jusqu’à la dissolution du groupe en 1903, puis influencé par la Neue Sachlichkeit (Nouvelle Objectivité)*, Vallotton n’en a pas moins cultivé une certaine indépendance qu’il a affichée à plusieurs reprises lors de manifestations internationales d’avant-garde. Traitant de tous les sujets – portrait, nu féminin, scène d’intérieur, scène d’extérieur en ville et à la campagne, paysage, nature morte, peinture d’histoire (mythologique, biblique ou sur la Première Guerre mondiale) –, il aura su porter un regard aigu, qualifié souvent d’acerbe et empreint d’amertume, sur son environnement et ses contemporains. Son style, caractérisé « par un aspect lisse, des couleurs raffinées, des contours précis, des cadrages audacieux, une perspective aplatie empruntée aux estampes japonaises et à la photographie »2, est résolument moderne et complexe malgré une apparente simplicité. Tout ceci lui aura valu d’être réputé inclassable, pas toujours compris de la critique de son temps et de recevoir le surnom de « Nabi étranger ».

Présentation des différentes salles

L’exposition se compose de cent soixante-dix œuvres comprenant peintures, xylographies et photographies regroupées par affinités selon dix thèmes offrant une lecture transversale de l’œuvre de Vallotton déclinée selon ses motivations esthétiques, sociales, politiques et des thèmes propres à sa personnalité – pessimisme, relation tendue avec les femmes, refoulement…

La problématique « du feu sous la glace » étant posée, les intitulés semblent fonctionner sur le principe de l’oxymore pour mieux appuyer la dualité conflictuelle qui s’exprimait à travers le travail, mais aussi la personnalité, de l’artiste.

« Cette approche met en lumière la progression opiniâtre du peintre vers l’édification pas à pas d’un mode d’expression résolument personnel et moderne, mais se réclamant aussi de la tradition séculaire de l’art. »3

  • Idéalisme et pureté de la ligne

Vallotton rompt avec l’engouement de ses contemporains pour l’impressionnisme, alors en plein triomphe, et des recherches scientifiques sur la couleur qui favoriseront l’émergence du pointillisme. Son style s’appuie sur une peinture de contour, privilégiant le dessin. La couleur n’intervient alors qu’au second plan comme un remplissage des surfaces, mettant en exergue la netteté du trait et conférant ainsi au sujet un réalisme « objectif ». Dans la tradition des peintres-graveurs allemands de la Renaissance (Dürer, Holbein, Cranach) – et admiratif du travail de Jean-Auguste-Dominique Ingres qui attachait beaucoup d’importance au dessin –, Vallotton transpose la gravure sur bois (ou xylographie – technique par enlèvement de la matière pour dégager le trait) à ses peintures. Il opère de cette façon, comme pour la photographie, un instantané.

« La caractéristique chez moi est le désir d’exprimer par la forme, la silhouette, la ligne et les volumes; la couleur n’étant qu’adjuvant, destiné surtout à mettre en valeur l’objet principal. »

Impressions : Autant ses autoportraits seraient hyperréalistes que ses portraits auraient le détachement du naturalisme adapté en peinture. Il a rendu un bel hommage à Ingres avec Le Bain turc (1907), qu’il a su moderniser. Ses nus sont exposés tels des étalages de chair, lisses et froids, avec beaucoup de virtuosité car ce n’est plus le sujet qui retient l’attention mais la façon dont les corps sont rendus et le message à y décrypter.

Le Bain turc, 1907

Le Bain turc, 1907

  • Perspectives aplaties

L’intérêt de Vallotton n’est pas dans la représentation mimétique de la réalité. Pour y échapper, il adopte même un procédé de double point de fuite afin d’aplanir la perspective et de donner une impression de basculement dans l’œuvre, ajoutant un aspect onirique, quasi-surnaturel, à son sujet. À cet effet, il dessine le premier plan de son esquisse debout, le second assis. S’inspirant en grande partie de lieux existants pour ses paysages, Vallotton réalisait ses croquis en extérieur (en indiquant dans son carnet un code chiffré figurant les couleurs), puis retournait dans son atelier les disposer selon son gré sur la toile. Il procédait alors à une simplification des formes, une exacerbation des contrastes et à une réinterprétation des couleurs.

Il en va de même concernant ses sujets pour lesquels il refuse de tomber dans le pittoresque. En 1901, lorsqu’il loue une maison sur les hauteurs d’Honfleur, il peint le bassin, la jetée, les bateaux… mais il réalise l’importance de prendre un recul suffisant pour échapper au naturalisme de la scène et en faire une abstraction. C’est ainsi qu’il recompose ses paysages et plie le motif à sa peinture.4

Impressions : Différentes scènes de ville – rues et jardins – s’animent par l’effervescence de la foule et auxquelles le regardeur se sent intégré grâce à un point de vue à échelle humaine et des éléments sortant du cadre, comme du champ de vision.
La Valse (1893) n’est pas sans rappeler les peintures de Gustav Klimt (1862-1918) avec ses couples nimbés d’une lumière dorée, à l’aspect fantomatique, qui confèrent à la peinture un caractère onirique.
Les paysages sont remarquables, tantôt plongés dans une obscurité mystérieuse – La Mare (1909), Clair de lune (1894) –, tantôt nous offrant un plongeon vertigineux par un effet de perspective en contre-plongée – La Grève blanche, Vasouy (1913), Souvenir des Andelys (1916), Honfleur dans la brume (1911).

Mon œuvre préférée reste Les Andelys, le soir (1924) : le paysage paisible, avec un ciel de fin de journée souligné d’une bande rosée en dégradé à l’horizon faisant ressortir la rondeur et l’éclat crépusculaire du soleil dominant la toile – contrasté lui-même avec son reflet dans l’eau, sorte de tâche dédoublée qui décompose la couleur allant du rouge-orangé au blanc. Il y a en plus un effet de déséquilibre de la composition avec un premier plan assez sombre représentant une rangée régulière d’arbres bordant l’eau et légèrement à la verticale, ce qui vient créer une rupture avec l’horizon du second plan parallèle au cadre. Le même effet est produit par la palette pastel utilisée pour la perspective atmosphérique alors qu’une importante zone d’ombre occupe la partie centrale droite de la toile – un bosquet à contre-jour et dont l’obscurité projetée le fait paraître tel un nuage noir, présage inquiétant, prêt à engloutir la lumière et progressivement toute la peinture. Il y a comme un drame latent qui semble être sur le point d’éclater et faire du calme un lointain souvenir. Pour corroborer ce point de vue, je n’ajouterai que l’observation des touches infimes de rouge venant cercler le soleil et qui donnent l’impression de vouloir embraser le ciel (le rose et le reflet du soleil dans l’eau – pouvant s’apparenter à une flamme – n’étant que les prémices à cette combustion).

Les Andelys, le soir, 1924

Les Andelys, le soir, 1924

  • Refoulement et mensonge

Entre 1897 et 1899, Vallotton réalise une série d’estampes et de peintures sur le thème de l’intimité dans lesquelles le décor joue un rôle aussi important que les personnages – principalement des couples adultères. Des intérieurs bourgeois, avec des murs et du mobilier de couleurs chaudes, symbolisent ainsi l’intensité des passions, des conflits entre pulsions et interdits et du danger. De plus, une tension est maintenue tour à tour par des espaces clos, des portes entrouvertes, des reflets dans un miroir, des objets lourds de sens, des zones d’ombre, créant un suspense figé dans le temps qui laisse entrevoir un drame latent. La femme y est présentée comme froide, cruelle, intéressée, manipulant l’homme ayant succombé à ses charmes. Préfigurée en 1896 par une série de dix bois gravés pour illustrer le conte de Jules Renard, La Maîtresse, la thématique de l’intimité se trouve reprise une nouvelle fois dans des peintures sur un mode plus ironique avec des sujets de tromperie. Ces scènes de séduction, plaçant le regardeur en position de voyeur indiscret, rendent compte du tempérament réservé de Vallotton, qui préférait garder ses distances pour mieux jouir du spectacle, tout en conservant néanmoins sa justesse d’observation.

« J’aurai toute ma vie été celui qui de derrière la vitre voit vivre et ne vit pas »

« De nature pessimiste, il a traversé plusieurs dépressions. Il aime mettre en scène la cruauté sur un mode souvent feutré. Son mariage l’embourgeoise et il déteste sa vie de famille. Il a beaucoup peint ou dessiné les désillusions de l’amour. Une gravure intitulée À la santé de l’autre montre un homme et une femme qui trinquent, visiblement à la santé du cocu. Sous l’apparence de la bienséance et d’une exquise courtoisie, il bouillonnait à l’intérieur. […] Quand Vallotton peint, il raconte souvent un roman policier. Il utilise les personnages au moment paroxystique de l’action. Dans La Chambre rouge, on voit à l’évidence un couple illégitime qui se retrouve dans un appartement. Tout est mis en scène, jusqu’aux objets choisis à dessein. Vallotton laisse circuler l’imagination, il n’est guère complaisant envers les femmes. »5

Impressions : Ses xylographies ne permettent pas les demi-teintes avec sa représentation franche et implacable qui sied au genre policier et aux scènes de mœurs : composition dont l’équilibre entre les zones noires et blanches est maîtrisé.
Avec sa toile Le Mensonge (1898), nous avons la démonstration du travail de l’artiste sur la transposition de la gravure en peinture, car elle lui est rattachée une xylographie de 1897 présentant la même scène à l’identique.

Par ailleurs, le motif des portes ouvertes et les couleurs chaudes transcrivent bien l’idée du confort bourgeois et nous dévoilent ce que ce dernier tente de dissimuler. Il y a par ailleurs comme un sentiment de malaise avec ce côté voyeuriste, – de désir coupable ou de curiosité mal placée –, car la volonté de Vallotton de nous tenir à distance de la scène est omniprésente. Cela en est ainsi dans pratiquement toutes les toiles et provoqué par l’absence d’attention des personnages tournant le dos au regardeur. Le Poker (1902) en est une illustration caractéristique. Des joueurs sont assis au fond à gauche de la pièce, absorbés dans leur partie de cartes. Une table rouge, élargie par un effet de perspective exagérée – attestant de la position debout du regardeur –, occupe à elle seule toute la partie inférieure de la toile. Elle est surmontée d’une lampe dont le reflet semble renforcer l’isolement du regardeur, figurant un obstacle qui l’empêche de rejoindre les participants. Ce sentiment est confirmé par l’unique chaise libre reléguée sur le côté droit de la pièce.

Le Poker, 1902

Le Poker, 1902

  • Un regard photographique

À l’été 1899, Vallotton acquiert un appareil Kodak et s’essaie à la photographie. Fidèle à ses sujets de prédilection – scènes d’intérieur, nus, nouvellement scènes de plage –, il prendra des photos ressemblant à l’identique à ses peintures – certaines lui servant en effet pour son œuvre picturale. Toutefois, il y gagnera de nouvelles approches : points de vue audacieux, cadrages évocateurs d’éléments hors-champ ou encore effets de lumière inédits par le contre-jour permettant un traitement de la figure en silhouette privée du moindre modelé. La photographie se révélera, pour Vallotton, un médium idéal pour évacuer la tridimension de ses représentations. Dès 1901, il puisera ses modèles picturaux d’après les clichés de l’atelier Nadar et la revue L’Étude académique, ne photographiant plus qu’à des fins personnelles.

Impressions : Mise en regard de photographies avec ses peintures qui montre le style recherché par Vallotton entre les limites de la représentation à l’identique et le choix esthétique de l’épuration des motifs et de l’aplanissement des formes à travers des scènes d’intérieur issues de son quotidien familial, des nus, des scènes de plage et un portrait d’Émile Zola.

Portrait décoratif d'Émile Zola, 1901

Portrait décoratif d’Émile Zola, 1901

Émile Zola, 1898, photographie de l'atelier Nadar

Émile Zola, 1898, photographie de l’atelier Nadar

 

  • « La violence tragique d’une tache noire »

Cet intitulé se réfère à l’avis que Thadée Natanson, co-fondateur de La Revue blanche* et critique d’art, donne en 1899 du travail de gravure de Vallotton. Cet art, qui fit sa renommée et participa à son admission au sein des Nabis, lui inspire un peu plus de cent vingt xylographies entre 1891 et 1901 et marquera l’ensemble de sa production picturale qui restera influencée par le synthétisme de ses images en noir et blanc à tel point que parfois elle semble en être une transposition littérale. C’est ainsi que Vallotton se distingue des Nabis, non par les sujets, mais par son style caractérisé par une tension entre les zones noircies et les zones blanches basculant peu à peu vers l’obscurité et d’où les sujets surgissent, par des effets de « plein et de vide, à la ligne incisive et au cadrage surprenant, où sous l’humour se dissimule une véritable critique sociale »6. À partir de 1899, le xylograveur cède le pas au peintre.

Impressions : Vallotton fait preuve d’un tel talent remarquable pour ses gravures qu’il est facile de comprendre qu’elles aient fait son succès. Avec ses paysages japonisants, ses scènes de ville (de foule et d’agitation avec Le Bon marché (1893), La Charge (1893), L’Averse (1894)), d’intérieur (de société avec Le Poker (1896), d’intimité avec Le Bain (1894), La Paresse (1896) ou encore didactique avec sa série sur Les Instruments de musique), mythologiques (Roger et Angélique, 1896) et ses portraits (le sien de 1891 et celui d’Edgar Allan Poe en 1894), c’est la même virtuosité dans la composition et l’emploi du noir qui participe tout autant au sens que les éléments figuratifs.

Le Bon Marché, 1893

Le Bon Marché, 1893

  • Le double féminin

En 1919, Vallotton écrit dans son Journal : « Il me semble que je peins pour des gens équilibrés, mais non dénués toutefois, – très à l’intérieur – d’un peu de vice inavoué. J’aime d’ailleurs cet état qui m’est propre aussi. » À cet état d’esprit répondent plusieurs tableaux qui mettent en scène deux femmes, souvent dénudées, repliées sur elles-mêmes, n’échangeant ni un regard ni un geste, à l’apparence très dissemblable.
Donnant une impression d’incommunicabilité, ces associations féminines révèlent surtout la complexité des pulsions paradoxales de l’artiste. En effet, l’écrivain Léon-Paul Fargue écrit en 1912 : « Deux hommes se répriment l’un l’autre en ce peintre : un amant et un critique, un sensible et un contrôleur implacable, un érotomane et un mécanicien-adjusteur. »

Impressions : La section rassemble six peintures intéressantes et dérangeantes à la fois… il y aurait beaucoup à en dire en raison de leur complexité d’interprétation – comme par exemple Le Repos des modèles (1905) dont je ne relèverai que des éléments d’analyse : le sujet des deux femmes nues peut rappeler le thème des femmes à leur toilette peint à la Renaissance ; la position de la femme centrale, avec ce miroir en arrière-plan, est un clin d’œil aux Vénus offrant nonchalamment leur corps aux regards, avec le jeu des reflets et la symbolique de la vanité (toutefois, Vallotton a marqué sa différence en privant son modèle d’érotisme par ce regard dérobé) ; le drapé est la métaphore de la mise en scène théâtrale ; les peintures qui se reflètent dans le miroir sont autant de renvois à d’autres œuvres qu’un jeu de piste pour décrypter l’univers et les références du peintre! Par ailleurs, l’anémone bleue étant un symbole de la rupture et de la renaissance, il est sans doute à comprendre que Vallotton a cherché à renouveler le genre du nu, en mettant en scène toute une dialectique appartenant à des œuvres classiques pour mieux montrer sa modernité. Néanmoins, cette peinture nécessiterait une analyse plus approfondie…

Le Repos des modèles, 1905

Le Repos des modèles, 1905

  • Érotisme glacé

Vallotton éprouve une attirance toute particulière pour la beauté féminine et ne cesse de la peindre à travers des nus très hétérogènes dont il annihile tout érotisme par crainte de succomber à la séduction des tentatrices – c’est à cet effet qu’il accentue la ligne incisive des contours et qu’il contraste les modelés des corps avec des décors monochromes. Entre adulation et haine, Vallotton opère une distanciation avec ses modèles : les représentant chacune unique, ne ressemblant à nulle autre, il les dote d’attitudes bien individuelles, quasi-lascives, ne prêtant aucune attention au regardeur ou seulement en signe de défi.

Impressions : Même sentiment que pour la précédente section. Les huit peintures méritent un déchiffrage sans lequel elles apparaissent incompréhensibles et inappréciables à leur juste valeur – comme pour Le Bain au soir d’été (1892) qui, malgré des analyses pointues d’historiens de l’art, n’a pas livré tous ses secrets.

Le Bain au soir d'été, 1892-1893

Le Bain au soir d’été, 1892-1893

  • Opulence de la matière

Lorsqu’il s’agit de natures mortes, Vallotton se montre exigeant au point de vouloir rivaliser avec le trompe-l’œil – genre qu’il estime inaccessible, mais s’efforce d’atteindre.
C’est pourquoi son approche diffère de ses autres œuvres : se délestant d’un dessin préalable, il privilégie un travail sur la forme, les textures, l’ordonnance des masses et des accords ou discordances des couleurs. Il parvient à rendre « la transparence et l’opacité des matières, matité et brillant des surfaces, rotondité et angularité des formes, concavité et convexité des objets. »7
Il réalise de la même manière des « simili-portraits » – portraits de modèles anonymes, plus ou moins dévêtus – jouant sur l’exhibition et la dissimulation, la disponibilité et la réserve : ses objets, aux formes pleines et aux surfaces réfléchissantes révèlent des éléments hors-champ, tout comme les drapés de ses portraits qui cachent et suggèrent en même temps les courbes du corps.

Impressions : Aux côtés de sept portraits hyperréalistes et classiques dans la représentation – notamment une étude de fesses des plus frappantes de réalisme dans son aspect disgracieux – se trouvent six natures mortes pour lesquelles Vallotton a joué sur les différents points de vue (tantôt en surplomb, tantôt à hauteur du point focal) et la juxtaposition d’objets aux matières bien distinctes avec un rendu d’une grande qualité. Pour l’anecdote, la peinture Poivrons rouges (1915) est une « sorte de métaphore du carnage inégalé auquel a donné lieu la Première Guerre mondiale, mais aussi annoncent le Pop Art américain des années 1960 »8.

Poivrons rouges, 1915

Poivrons rouges, 1915

  • Mythologies modernes

La peinture d’histoire, genre noble, ne pouvait échapper à Vallotton qui ambitionnait d’égaler les plus grands. Il se voulait à la fois moderne et rattaché à la tradition. C’est pourquoi il s’est approprié des sujets mythologiques à lire au second degré comme des critiques de son temps, notamment la guerre des sexes induite par l’avènement du féminisme. Il ajoute même de nombreuses références iconographiques – des attitudes propres à la sculpture et à la peinture de vases antiques, ou rappelant des personnages de peintures des grands maîtres comme Ucello, Ingres, Böcklin… Décriées lors de leurs présentations au Salon des Indépendants et au Salon d’Automne, ses peintures lui ont toutefois permis de montrer son savoir-faire en grand format et de détourner la peinture officielle sur son propre terrain.

 « Il faut toujours savoir dire du neuf sur un même sujet. »

Impressions : Dix toiles exposent des scènes d’une violence inouïe – souvent en employant des couleurs vives et contrastées comme pour mieux mettre en évidence chaque personnage. Il y a de nombreuses références, ce qui rend l’interprétation absconse sans les clés de lecture – comme pour Satyre enlevant une femme au galop (1910) qui rappelle le thème de l’enlèvement des Sabines par exemple.

Satyre enlevant une femme au galop, 1910

Satyre enlevant une femme au galop, 1910

  • C’est la Guerre !

Dès 1890, Vallotton, comme de nombreux artistes – notamment son ami Jules Renard dont il illustra Poil de carotte –, s’insurge contre la montée du féminisme et se met à dépeindre la femme sous des traits monstrueux. Avec ses propres rancœurs domestiques aidant – son mariage en 1899 avec Gabrielle Rodrigues-Henriques, veuve et mère de trois enfants, le rend malheureux et Misia Nathanson, son égérie qu’il peint tout d’abord avec délicatesse finira en nus des moins complaisants avec la chaire tombante –, ses tableaux mettent en exergue une violence paroxystique : scènes de viol, homme dépecé, illustration de la haine. « Qu’est-ce que l’homme a donc fait de si grave qu’il lui faille subir cette terrifiante « associée » qu’est la femme? », écrit Félix Vallotton dans son Journal en 1918.
Puis la Première Guerre mondiale éclate, Vallotton est trop âgé pour s’engager. C’est à partir des images de la presse, de films au cinéma, qu’il peint des scènes tirées de son imagination. Il réalise un album de gravures, C’est la Guerre ! , où sont représentées la vie tragique des tranchées, la sauvagerie de l’ennemi, la brutalité des combats corps à corps et les souffrances des civils. En 1917, il est envoyé sur le front à Verdun comme missionnaire artistique aux armées – malgré de nombreux croquis, naît en lui le sentiment de ne pouvoir peindre la guerre, car n’étant pas témoin des scènes d’action. Il décide néanmoins de s’y atteler en se fiant à ses souvenirs et à sa vision du combat.

Impressions : Plus que de la violence, c’est une véritable manifestation de la haine acharnée que Vallotton donne à voir dans ses trois peintures anti-féministes. À l’inverse, ses six peintures sur la guerre offrent une vision d’une poésie mélancolique – des ruines, Le Cimetière militaire de Châlons (1917) – et fantasmagorique – notamment avec 1914, Paysage de ruines et d’incendies (1915) et Verdun (1917) à travers ses couleurs exceptionnelles – de la zone de combat. Nous retrouvons six planches de gravures de sa série C’est la Guerre ! dans lesquelles le cauchemar de la guerre est rendu dans tout son caractère implacable.

1914, Paysage de ruines et d'incendies, 1915

1914, Paysage de ruines et d’incendies, 1915

Analyse d’une œuvre

Libération, Félix Vallotton au Grand Palais, analyse de la peinture Intérieur avec femme en rouge de dos (1903) par Isabelle Cahn, http://dai.ly/x1aeila

Conclusion

Cette rétrospective, riche en œuvres diverses, a su montrer le travail hétéroclite de Vallotton, qui n’a cessé sa vie durant de renouveler les genres picturaux classiques – portrait, nu, paysage et peinture d’histoire – dans des compositions modernes qui rendent compte d’une critique de son époque.

Il est néanmoins dommage qu’aucune section n’ait été consacrée à son travail littéraire qui a représenté un grand pan de l’œuvre de l’artiste. Surtout que Vallotton a adopté la même approche, que ce soit dans ses peintures que dans ses critiques d’art, essais, pièces de théâtre et romans. En effet, à l’occasion de la publication posthume du roman autobiographique La Vie meurtrière au Mercure de France, le critique littéraire Camille Mauclair écrit dans la revue La Semaine littéraire n°1736 du 9 avril 1927 que :

« Le talent littéraire de Vallotton était analogue à son talent de peintre : des lignes fermes et pures, de la froideur jusqu’au glacial dans de la précision jusqu’à la minutie, un bel emploi du blanc et noir, aucun ragoût, aucun éclat, de la véracité calme et cruelle, un grand souci du contour. Mais en dessous, dans son livre, quelle confession de passion rageuse chez un homme s’en raillant lui-même ! Quelle sensualité jugée avec une implacable amertume ! […] Quand je reverrai des Vallotton, je les regarderai tout autrement que jadis en songeant à La Vie meurtrière. »

De plus, tout en justifiant bien que Vallotton a délaissé les courants artistiques de son époque – impressionnisme, pointillisme, fauvisme, cubisme…– et qu’il rejoignit les Nabis mais en restant l’ « étranger » au sein du groupe car suivant sa propre esthétique, les commissaires d’exposition ont choisi de le présenter comme inclassable. Hors, c’est faire l’impasse sur la grande admiration que portait Vallotton pour Ingres (1780-1867) – entre autres artistes – et qui marqua son propre style que l’on peut rapprocher du naturalisme et néo-classicisme. Une section qui aurait mis en exergue les influences de Vallotton, notamment celle d’Ingres, aurait apporté un regard supplémentaire sur les œuvres. Marina Ducrey, une des commissaires, dans son ouvrage Félix Vallotton 1865-1925. Catalogue raisonné de l’œuvre peint distingue elle-même trois caractéristiques inspirées de l’art du grand maître néo-classique:
l’obsession du moi, qui s’exprime par l’écriture – à travers son Journal, ses romans autobiographiques notamment – et par son œuvre picturale qui compte pas moins de 8 autoportraits connus (dont 6 présents à l’exposition : à 20 ans (de profil, la tête légèrement penchée, apathique), à 26 ans dans une gravure (de ¾ profil, les traits du visage tirés, contrastant avec un second plan ensoleillé avec des personnages se saluant), à 32 ans (plus apaisé, il vient de se marier), à 34 ans dans Le Dîner, effet de lampe (de dos, attablé à un repas de famille où personne ne le regarde), à 37 ans dans Les Cinq Peintres (se tenant debout, un peu à l’écart de ses amis nabis Pierre Bonnard, Edouard Vuillard et Ker-Xavier Roussel, aux côtés de Charles Cottet qui est situé au centre, mais à part également) et à 39 ans (tenant sa palette et rappelant un autoportrait d’Ingres).
le souci de son apparence, et de laisser à la postérité une image raisonnable
le culte de la ligne, qui, chez Vallotton, sert d’emprisonnement des formes, accentuant les contours et les délimitant des aplats de couleurs.
C’est ainsi que plusieurs œuvres n’ont pu être appréciées pleinement sans avoir les clés de lecture et les références du peintre.

La rétrospective a bien mis en lumière son parcours qui a suivi une filiation constante, allant de la gravure, à la photo et à la peinture. Dans une économie de la composition et une prédilection pour l’aplat, Vallotton agençait méticuleusement chaque élément de ses œuvres – quelque fut son support – et les réinventait pour mieux servir son discours.
C’est ainsi que :
– la femme est moins pour lui une beauté idéale que la « terrifiante associée » de l’homme, non le repos, mais le danger, la tension créatrice.
– les intérieurs nabis sont le prétexte à illustrer le drame caché d’amours adultères et du cauchemar d’un fiancé.
– les peintures d’histoire mythologique montrent des scènes où la femme est la proie du désir masculin, sujet d’une lutte acharnée, dénonçant le féminisme naissant.
– le paysage marque l’évolution de son œuvre : des incertitudes de la jeunesse jusqu’au début des années 1890 avec des paysages de vacances suisses, la révolution nabie avec les bords de mer et les hésitations qui en suivent (la première décennie du XXe siècle) par la diversité de la topographie, plus fréquent dans l’œuvre de l’artiste à partir de 1909.

Il semblerait par ailleurs que Vallotton se soit essayé à la sculpture et aux objets d’arts appliqués qui ont été complètement mis sous silence lors de l’exposition.

En somme, la problématique choisie – « Le feu sous la glace » – promettait d’être intéressante, surtout qu’il n’était pas évident de présenter l’œuvre d’un artiste aussi complexe. Néanmoins, la pertinence du parcours – notamment de ses intitulés – semble bancale. Personnellement, je reconnais un certain mérite de ne pas avoir cédé à la simplicité d’un parcours chronologique ou générique, mais il est regrettable que les intitulés ou encore la disposition des œuvres ne restent pas cohérents avec le parti-pris de l’oxymore. Cela est peut-être imputable à la difficulté de s’accorder sur une même présentation lorsque le nombre des organisateurs est important : quatre commissaires d’exposition en France, et trois musées de pays différents en co-organisation. Dix sections s’avèrent proposer un cheminement trop diffus.

Il n’en demeure pas moins que les œuvres sont remarquables et rien que pour cette raison, cette exposition est une petite merveille. Si l’occasion ne vous a pas été donnée de la découvrir à Paris, il vous reste encore la possibilité de vous rendre à Amsterdam, au musée Van Gogh – du 14 février au 1er juin 2014 –, ou à Tokyo, au Mitsubishi Ichigokan Museum – du 14 juin au 23 septembre 2014.
Bon voyage !

Notes
1. Marina Ducrey, vidéo Présentation de l’exposition Félix Vallotton, sur Dailymotion.
2. catalogue Vallotton l’expo.
3. communiqué de presse.
4. Bruno Delarue – historien de l’art, auteur de Félix Vallotton, les paysages de l’émotion  –, vidéo Vallotton et le paysage, sur Dailymotion.
5. Isabelle Cahn, Félix Vallotton peint des polars (cf. bibliographie).
6. catalogue Vallotton l’expo, p.170.
7. catalogue Vallotton l’expo, p. 254.
8. commentaire indiqué sur le cartel de la peinture à l’exposition.

Pour aller plus loin :

Catalogues accompagnant l’exposition

DUCREY Marina, COGEVAL Guy, POLETTI Katia, CAHN Isabelle, SUGIYAMA Naoko, ROOS ROSA DE CARVALHO Fleur, MADELINE Laurence, Félix Vallotton. Le feu sous la glace, Éditions Réunion des musées nationaux – Grand Palais, paru en septembre 2013, 288 pages, 45€.

NASIO J.-D., L’Inconscient de Vallotton. L’album de l’exposition, Éditions Réunion des musées nationaux – Grand Palais, paru en octobre 2013, 48 pages, 10€.

Catalogue raisonné
DUCREY Marina (avec la collaboration de Katia Poletti), Félix Vallotton 1865-1925. Catalogue raisonné de l’œuvre peint. Institut Suisse pour l’étude de l’art ; Fondation Félix Vallotton, 5 Continents éditions, 2005, trois volumes, 1332 pages.

Film documentaire
CAZANAVE Juliette, Félix Vallotton, la vie à distance, Éditions Réunion des musées nationaux – Grand Palais / Arte, paru en 2013, 52 minutes, 19€90.

Sites sur lesquels retrouver de nombreuses œuvres de Vallotton
Joconde, portail des collections des musées de France
Gallica-Bnf, bibliothèque numérique
Wikimedia Commons, médiathèque de fichiers media librement réutilisables
The Athenaeum, bibliothèque d’un club londonien

(*) Quelques précisions:

Présentation des quatre commissaires d’exposition (source: Babelio.com)

Guy Cogeval (né à Paris en 1955) est le président des musées d’Orsay et de l’Orangerie depuis 2008.

Il commence sa carrière en tant que professeur d’économie de 1977 à 1982, toutefois sa passion pour l’histoire de l’Art l’amène à résider à la Villa Médicis à Rome et à se former au métier de conservateur du patrimoine. C’est ainsi qu’il intègre le musée d’Orsay dès 1985, puis le musée des Beaux-Arts de Lyon.

En 1988, il est conservateur au musée du Louvre et enseigne l’histoire de l’art du XIXe siècle à l’École du Louvre jusqu’en 1998. Parallèlement, il assure tour à tour la sous-direction des services culturels et la direction du musée des Monuments français.

Il part ensuite à la direction générale du musée des Beaux-Arts de Montréal jusqu’en 2006 avant de revenir en France intégrer le poste qu’il occupe aujourd’hui. Spécialiste d’Édouard Vuillard, il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’artiste et a été le commissaire de nombreuses expositions nationales et internationales.

Isabelle Cahn est conservateur en chef au musée d’Orsay. Historienne de l’art spécialisée dans la seconde moitié du XIXe siècle et du début du XXe siècle (1848-1914), elle a été commissaire d’expositions et auteur de nombreuses publications.

Marina Ducrey et Katia Poletti sont toutes les deux conservatrices à la fondation Félix Vallotton en Lausanne.
Marina Ducrey a, de plus, été l’auteur d’une monographie et de nombreux articles consacrés à Félix Vallotton et a contribué à la réalisation de plusieurs expositions.

Académie Julian est une école privée de peinture et de sculpture, fondée à Paris en 1867 par le peintre français Rodolphe Julian (1839-1907). Elle est restée célèbre pour le nombre et la qualité des artistes qui en sont issus pendant la grande période d’effervescence dans les arts au début du XXe siècle.

Pour l’anecdote, Félix Vallotton avait été admis à l’école des Beaux-Arts de Paris en 1883, mais lui préféra l’académie Julian où il se lia d’amitié avec les têtes de file du mouvement nabi Édouard Vuillard, Pierre Bonnard et Maurice Denis. (source : wikipedia.org)

Nabis
Lancé en 1888, le mouvement nabi (en hébreu « prophète ») rassemble un groupe d’individus disparates autour d’une esthétique de l’aplat, de lignes sinueuses, des sujets d’intérieurs ou montrant la vie moderne parisienne avec l’artiste comme spectateur du théâtre de la vie urbaine. Ses principaux représentants sont Pierre Bonnard, Edouard Vuillard et Maurice Denis. (source : encyclopédie en ligne larousse.fr)

Neue Sachlichkeit (Nouvelle Objectivité) est un courant apparu en Allemagne dans les années 1920 – en réaction contre l’Expressionnisme omniprésent qui gagnait d’autres arts (cinéma, théâtre) – et qui était marqué par un art du constat froidement objectif, où le rôle de la couleur était soumis à celui d’un dessin beaucoup plus analytique. Ses chefs de file sont Max Beckmann, Otto Dix, Georg Grosz. (source : encyclopédie en ligne larousse.fr)

Revue Blanche
Recueil bimensuel illustré fondé à Liège et à Paris en 1889, par un jeune avocat liégeois, Auguste Jeunehomme, et par Paul Leclerq. En 1891, sa direction passa à Alexandre Natanson et à ses frères, qui en firent une revue essentiellement ouverte au symbolisme, aux idées nouvelles en littérature, en art et en sociologie. Elle fusionna en 1903 avec la Revue (ancienne Revue des revues).

Vallotton a réalisé le portrait de Thadée Natanson, un des trois frères, ainsi que de nombreux de la femme de ce dernier, Misia qui fut son égérie. (source : encyclopédie en ligne larousse.fr)

Bibliographie/sitographie

Catalogue fidèle à l’exposition avec les mêmes textes et toutes les œuvres dans l’ordre de leur mise en place
Vallotton l’expo, Éditions Réunion des musées nationaux – Grand Palais, paru en octobre 2013, 336 pages, bilingue français/anglais.

Catalogue de la rétrospective consacrée à Félix Vallotton au Petit Palais du 11 avril au 18 juin 1979
KOELLA Rudolf, (avec la collaboration d’Adeline Cacan de Bissy, Luc Boissonas, Maurice Besset, Doris Jakubec et Margrit Hahnloser-Ingold), Félix Vallotton 1865-1925, Musée du Petit Palais de la Ville de Paris, paru en 1979, non paginé.

Vidéos sur Dailymotion
Réunion des musées nationaux-Grand Palais, Présentation de l’exposition Félix Vallotton, visite guidée d’Isabelle Cahn et Marina Ducrey dans laquelle sont présentées les œuvres : La mare (1909), La chambre rouge (1898) et Femme couchée sur fond violet (1924), publié le 22 octobre 2013, durée 4 minutes 03 secondes, http://dai.ly/x169p2h

DELARUE Bruno, Réunion des musées nationaux-Grand Palais, Vallotton et le paysage, publié le 4 novembre 2013, durée 3 minutes 10 secondes, http://dai.ly/x16ruf1

Libération, Félix Vallotton au Grand Palais, analyse de la peinture Intérieur avec femme en rouge de dos (1903) par Isabelle Cahn, publié le 28 janvier 2014, durée 4 minutes 28 secondes, http://dai.ly/x1aeila

Communiqué de presse
http://www.grandpalais.fr/sites/default/files/field_press_file/dp-_automne_2013.pdf

Brochure Automne/Hiver 2013 du Grand Palais
http://www.grandpalais.fr/pdf/saison_automnehiver_2013.pdf

BALBO André, DERNIERS JOURS de l’exposition Vallotton au Grand Palais. Graveur, peintre et misogyne, mais à voir !, consulté le 17 janvier 2014 (publié le 13 janvier 2014), http://www.evous.fr/Cet-automne-au-Grand-Palais-Felix-Valloton-Le-feu-sous-la-glace,1182999.html

BONFAIT Olivier, Félix Vallotton 1865-1925. Catalogue raisonné de l’œuvre peint. Auteur : Marina Ducrey, La Tribune de l’Art, consulté le 17 janvier 2014 (publié le 1er nombre 2005), http://www.latribunedelart.com/felix-vallotton-1865-1925-catalogue-raisonne-de-l-oeuvre-peint

BRÉHAUT Frédérique, Isabelle Cahn : « Félix Vallotton peint des polars », lemaineLivres (blog), consulté le 17 janvier 2014 (publié le 15 décembre 2013), http://lemainelivres.blogs.lemainelibre.fr/isabelle-cahn-felix-vallotton-peint-des-polars-15-12-2013-324

DUAULT Nicole, Félix Vallotton, un maître méconnu, Le Journal du Dimanche, consulté le 17 janvier 2014 (mise à jour le 1er octobre 2013), http://www.lejdd.fr/Culture/Expo/Felix-Vallotton-un-maitre-meconnu-631690

MAUCLAIR Camille, Marginalia, dans La Semaine littéraire, n° 1736 du 9 avril 1927, page 4, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5531769r/f4.image.r=la%20semaine%20litt%C3%A9raire%20marginalia.langFR

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